Je
reprends : le 11 décembre.
Le tant que je suis en route, il ne faut pas que j'arrête
trop longtemps.
Les tristes
événements passés, nous n'avons plus d'électricité, cela depuis
le début de la déroute de nos troupes.
Lés
dernières nouvelles sur l'avance allemande datent du jour
de notre départ pour Méhoncourt à 7 heures du soir. J'entends
à la radio suisse que les troupes allemandes entrent dans
Paris.
La poste
ne fonctionne plus le boulanger, épicier, tout est arrêté.
Nous allons chercher du pain à Xures, chez le boulanger, qui
reprend son travail avec la farine qui lui reste. Mais cela
ne dure pas trop longtemps. Lé ravitaillement en vivres n'est
pas arrêté, à part que lé boulanger ne nous livre plus à domicile
; il n'a plus d'essence pour faire sa tournée. Les tickets
de pain, sucre, fonctionnent comme avant la débâcle.
Tout
chacun a le souci maintenant de savoir ce que sont devenus
leurs proches. Après cette défaite, beaucoup sont prisonniers
et donnent de leurs nouvelles par tous les moyens possibles.
Mon frère est dans un camp à Mirecourt ; Marie a eu la possibilité
de le voir. Tout chacun sait à peu près ce que sont devenus
les leurs. Aucun n'est tué, ni blessé ; de mon côté j'ai été
longtemps sans nouvelle de mon mari.
En septembre,
je reçois une lettre d'un de ses collègues du département
de la Haute-Marne, qui, lui était rentré chez lui. Il m'explique
que Louis est en bonne santé, qu'il était avec lui à Limoges
vu que la Meurthe-et-Moselle était en zone interdite il ne
pourrait pas revenir chez lui. C'était déjà bien de le savoir
en bonne santé, mais j'étais un peu amère de savoir qu'il
ne reviendrait pas alors que nous en avions tant besoin et
que nous ne pouvions même pas nous écrire. La poste était
interdite dans notre zone. J'ai essayé de faire passer une
lettre à l'abbé Castet dans l'Ariège. Cette lettre est bien
arrivée. Notre Jean Barbelin me l'a dit mais je n'ai pas eu
de réponse. Une bonne surprise nous attendait. Louis arrive
un samedi soir du 3ème dimanche d'octobre. J'ai retenu cette
date parce que c'était avant la guerre le jour de la fête
de la Toussaint ; il est là, avec des vêtements civils que
je ne lui connaissait pas.
Comment
a t-il pu se libérer ? Je vais vous le dire.
En zone
libre, les militaires qui rentraient chez eux n'avaient pas
de problème mais il fallait un certificat d'hébergement ;
et par des moyens de complaisance un brave homme des environs
de Limoges lui en a fait un en bonne forme et signé par le
maire de la localité. C'est ce papier qu'il présente au service
de démobilisation. Et tout est réglé. Je crois me rappeler
qu'en le démobilisant il a touché une petite prime ; il était
à court d'argent. Je lui en avait envoyé un peu avant la débâcle
mais il ne l'a jamais reçu.
Lé copain
de l'Aube, j'ai dit dans une page précédente que c'était de
la Haute-Marne, je m'étais trompé ; il avait fait un emprunt
d'une petite somme que nous lui avons remboursé. Il prend
donc le train à Limogés et arrive à la ligne de démarcation.
Il faut
maintenant que j'explique ce qu'est la ligné de démarcation
pour ceux qui ne le sauraient pas.
La France
était coupée à peu près en deux. D'un coté, comme nous, c'est
la France occupée, de l'autre c'est la zoné libre. Je vous
ai déjà dit qu'il y avait une zone interdite. Nous y étions
mais je ne peux pas dire qu'elle était son étendue ; à l'époque
l'on disait qu'elle allait des Vosges jusqu'au delà des Ardennes.
La Ligne
de démarcation c'était une véritable frontière gardée par
les militaires allemands.Telle celle que nous avons connue
de 1940 à 1944 à la frontière Lorraine.
Tout
près de notre territoire, au bois de Moncourt, le sentier
était bien tracé. Jour et nuit le garde faisait les cents
pas tout le long du bois même au delà, accompagné de deux
gros chiens ; ceux qui s'y faisaient prendre étaient arrêtés
ou un coup de fusil était tiré sur eux. Des prisonniers venant
d'Allemagne ont réussi à passer par Harouéménil (lieu-dit
sur notre cadastre).
Alors,
je continue, Louis est démobilisé avec ses vêtements militaires,
bleu horizon. Il achète un costume civil, prend le train à
Limoges et échange dans le train même son uniforme qu'il remplace
par le costume civil. Arrivé à la Ligne de démarcation, il
descend du train avant d'être contrôlé par l'administration
allemande. C'est alors qu'il cherche un passeur moyennant
finance ; il en trouve un qui le conduit à travers champ dans
la nature. Par chance tout se passe bien et le voilà sorti
du danger.
Tous
ceux qui passent n'ont pas cette chance. Les deux fils de
notre facteur, Monsieur Mescart, ont été arrêtés et mis en
prison plusieurs mois. De même je me rappelle Marcel Villermin
de Coincourt a été emprisonné à Clervaux un certain temps.
Je précise
que je raconte mes souvenirs de la guerre 1940 – 1944 - 1945
pour tous ceux, qui à l'avenir, voudraient s'y intéresser.
Je ne
peux pas raconter tous ces événements sans parler des membres
de ma famille qui ont vécu avec moi ces jours difficiles.
Louis,
mon mari était maire de la commune depuis 1935 ; ses fonctions
s'arrêtent quand il se rend à l'appel de la mobilisation en
septembre 1939. L'adjoint, Monsieur Clausse jean, prend les
fonctions de maire qu'il exerce jusqu’à la débâcle de mai
1940. La tâche n'est pas trop difficile nous sommes en France
avec des français.
Mais
changement radical, la France est occupée par les allemands.
Il se souvient de 1914-1918. la place de maire n'est pas bonne.
Ils sont les premiers otages désignés par les allemands ;
il invoque une maladie du cœur qui l'empêche de continuer
ses fonctions. C'est Monsieur Barbelin Joseph qui est nommé
d'office par la préfecture.
Les habitants
de notre village voisin, Moncourt (Alsace Lorraine), sont
inquiets de leur sort.
Des bruits
courent qu'ils seront déportés surtout ceux qui sont nés en
France. La plupart n'attendent pas le verdict, ils se réfugient
dans leurs pays d'origine ; telle les familles Gérard, Dicher,
Poinsignon, Lesdalons. Madame Corbeil, cette dame dont je
vous ai parlé dans la guerre 1914-1918 s'exposait à des représailles
en faisant clandestinement faire parvenir des lettres à des
familles de Coincourt. Elle a trouvé refuge dans notre village.
Comme c'était prévu, un groupe de militaires Wafen SS, des
vrais parce qu'ils avaient sur le revers de leur veste une
tête de mort. Ils barrent les routes, personne ne passera
et les civils de Moncourt partiront en direction de la France.
Ils sont réfugiés en Haute-Vienne et leurs maisons occupées
par des frontaliers de la Ligne Maginot qui avaient eux aussi
été déplacés au début des hostilités.
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