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JUVELIZE


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MEMOIRES DE GUERRE 1939-1945

ALINE MASSON ( 1902 ) - COINCOURT -

Souvenirs de la guerre 1940-1944 : faits qui se sont produits
dans notre village de Coincourt.

Par quoi commencer ?

Il faut que je parle de l'année 1939 qui nous a déjà perturbé ; ce n'est un secret pour personne qu'Hitler, chancelier d'Allemagne, cherchait à faire la guerre ; les accords de Munich y ont mis fin. Mais ce n'était reculer que pour mieux sauter.

Donc ici à Coincourt, une mobilisation partielle, on mobilise les territoriaux, c'est-à-dire les classes les plus âgées. Ils iront où leurs affectations les appellent surveiller les arrières du pays. ( Chemin de fer, voies ferrées, canaux , etc...)

Réquisition des chevaux qui avaient été admis à la révision militaire qui se renouvelait d'une année à' l'autre, ordre donc de les présenter à Rosières-aux-Salines ; les uns sont pris, d'autres pas. Ce sont les vétérinaires militaires qui s'occupent de ce service. Je fais remarquer qu'en 1914 on a réquisitionné les bovins pour le ravitaillement des hommes de troupe: tel n'a pas été le cas en 1939.

Pendant ce temps, les accords de Munich sont signés ; tout rentre dans l'ordre. Les hommes mobilisés rentrent chez eux, les chevaux réquisitionnés sont rendus à leurs propriétaires.

Et puis, nous voici en Septembre 1939.

Comme beaucoup le prévoyaient, cette fois c'est sérieux, c'est la mobilisation générale qui est décrétée.

Des affiches sont collées un peu partout.

Les hommes mobilisables, sont appelés à se rendre à leur lieu d'affectation qui, est désigné sur leur livret militaire.

Mon frère doit se rendre à Toul, mon mari à Pierre-la-Treiche ; de là il est envoyé à Vittel. De la classe 1917, ayant déjà fait une partie de la guerre 1914-1918, il est affecté dans un hôpital miliaire comme infirmier à l'hôtel continental secteur postal n°.. En temps de guerre c'est toujours à un secteur postal que l'on adresse le courrier aux militaires.

Ici au village, que se passe-t-il ?

Nos hommes sont partis. Les femmes, quelques jeunes et des vieux pour faire le travail en pleine fenaison des regains. Ce n'était pas rose, je vous l'assure ! Je savais que la mairie avait été avisée avant les hostilités que la commune recevrait un groupe d'hommes de nationalité allemande qui , se trouvant à la frontière, voisinant la Ligne Maginot seraient arrêtés par des agents français et qu'il faudrait les héberger quelques jours.

Ce groupe, d'environ une centaine, est bien arrivé, entouré de militaires français. Ne sachant comment les occuper, on les distribue à ceux qui en demanderont.

On m'en donne au moins 12, nous les employons à la fenaison. Un après-midi, alors qu'il faisait très chaud, nous étions au lieu-dit la Neuve Etang, nous remplissons d'eau une cruche de grès ; comme nous le faisons pour nous même, et nous mettons notre boisson dans une source qui la maintient bien fraîche.

C'est alors qu'un des ces allemands voyant l'eau, se met à ( pardonnez moi l'expression ) gueuler comme une bête fauve. Je comprenais ce qu'il disait, connaissant assez d'Allemand pour avoir déjà vécu avec eux pendant 4 ans en 1914. L'eau, c'était trop plat ; il aurait voulu du meilleur, soit vin, bière ou limonade. C'était honteux de faire travailler des hommes de cette façon. Un seul était dans cet état ; les autres se tenaient bien. Hors de cet énergumène, ils avaient peur des représailles. Nous avions bien l'intention de leur offrir un verre de bière rentrés à la maison. Mais ils n'en ont pas eu le temps ; sitôt le travail fini, ils étaient encadrés et rentraient à leur camp.

Que je vous dise encore que dans ces prisonniers, il y avait un prêtre en soutane.

Par égard pour lui, ils le mettent au presbytère pour passer la nuit. L'abbé Kessler, notre curé, à été comme nous ; il a eu affaire à des hommes très coléreux fâchés d'avoir été pris si précipitamment.

Je vous livre ces détails qui n'ont pas beaucoup d'intérêts, mais c'est pour vous donner l'état d'esprit de ces Allemands.

Ils n'ont demeuré au village qu'un jour et une nuit.

Passons à autre chose : à peu près à soixante kilomètres de la Ligne Maginot, nous avons maintenant presque quotidiennement des militaires qui séjournent pour un temps, en un lieu de repos, tantôt de l'infanterie mais plus souvent de l'artillerie avec des chevaux

Il faut donc les héberger dans les granges pour les chevaux, et dans les greniers pour les hommes, ou encore dans les maisons inhabitées.

Et puis, bien plus triste, des convois de civils quittant leurs maisons dans les villages proches de la Ligne Maginot, avec des petits chariots le plus souvent traînés par des bœufs, sur leurs voitures un peu de mobilier et de literie qu'ils ont pu sauver à la hâte de leurs maisons.De ces chariots il en descend de la route de Moncourt et aussi par la route de Xures et cela pendant plusieurs jours.

Où vont-ils ? Sans doute dans l'intérieur de la France où des centres de ralliement leur ont été réservés.

Octobre, novembre, l'hiver s'annonce.

Il promet d'être dur ; nous avons rentré les betteraves par des temps difficiles. Les voitures s'embourbaient dans un sol détrempé. Mon frère depuis Lunéville venait assez souvent sans permission. Louis depuis Vittel venait plus rarement. Il lui fallait une permission pour prendre le train Mirecourt-Lunéville. Il avait son vélo chez une cousine Marie Grison à la gare de Jolivet. Auguste avait acheté une petite moto qui lui servait bien.

L'hiver 1939-1940 fut très froid. Beaucoup de neige et le la glace.

Je me rappelle d'un convoi d'artilleurs ; leurs chevaux avaient peine à se tenir debout sur la route. Ils venaient par Mouacourt, et beaucoup ont roulé au fossé. Puis arrivent les agriculteurs qui ont un mois de permission pour venir travailler dans leurs cultures.

La drôle de guerre continue. On croirait qu'elle va durer longtemps avec de petites escarmouches entre les Lignes Siegfied et Maginot, mais rien de grave.

Louis me dit : " va à la Préfecture demander un ouvrier. Vous ne pourrez pas faire la fenaison par vous même ". Nous avions avec nous Jean Barbelin, 15 ans, mais pas assez de personnel pour tout le travail à faire.

En mai, je me rends à la Préfecture ; on prend bonne note de ma demande et l'on me promet que nous aurons quelqu'un.

A Nancy, on ne parlait que de la cinquième colonne qui s'infiltrait partout. (La cinquième colonne, c'était des espions). Nous écoutions chaque jour la radio ; la télé n'existait encore pas. Il y avait déjà eu la défaite de Nancy.

Les soldats qui cantonnaient au village avaient fait un bal pour un peu se divertir. Ils étaient assez nombreux à la messe du dimanche suivant. Notre curé, l'abbé Kessler, qui est le pire ennemi du bal nous a dit en chaire que ce bal, c'était pour célébrer cette défaite de Narwick. Le, commandant qui était présent est sorti de la messe.

Et voilà que la radio nous annonce l'entrée des allemands en Hollande et en peu de temps toute la Belgique, et puis la prise de nombreuses villes françaises du nord de la France.

On racontait tout cela au père Alfred Piant qui nous donnait souvent un coup de main, mais disait-il, ce n'est pas vrai ; les femmes là, font de la dépression. Qu'est ce qu'elles peuvent raconter.

Nos racontars n'étaient pas faux. Dans ce courant du mois de mai, je ne sais plus quel jour, les avions survolaient souvent au dessus du village. Il n'y avait plus de militaire. Quelques groupes seulement descendaient, la route de Moncourt, un peu en pagaille.

C'était vers 4 heures du soir, un avion nous jette plusieurs bombes dont une tombe sur la maison Boubel ; dégâts importants. Madame Emilia Boubel est blessée à la jambe. D'autres bombes tombent au lieu-dit le Plaron.

Une vache a dû être tuée dans le parc et Madame Eugénie Barbelin, qui était dans une chènevière près du cimetière, est blessée grièvement. Elle va mourir dans le courant de la nuit. Cette même nuit, le bruit court que la résistance s'organise pour arrêter les allemands.

Nous allions nous coucher quand l'abbé Kessler vient nous dire - " il faut partir, je viens de voir un officier français, leur artillerie est placée derrière les sapins du bois de Monsieur Klein, au bois du haut du chêne, le village va être massacré. Il ne restera plus que pierre sur pierre " Monsieur Clausse, adjoint, qui fait les fonctions de maire est déjà parti avec son auto. Mes beaux frères, anciens combattants de la guerre 1914-1918, attellent leurs voitures chargées d'un peu de mobilier, de literie et d'un peu de vivres.

Que faire ? Les Allemands, je n'en ai pas trop peur, mais les bombes personnes n'y résiste.

Nous allons faire comme les autres ; Charles Barbelin met les harnais aux chevaux. Nous partons, Marie et Moi, avec chacune une voiture. André et Georges, sur l'une d'elle, Suzanne Piant et sa mère Nathalie et Madame Lebon Louise, sa mère et sa fille Monique.

Nous nous donnons un tracé par Bayon et de là direction Dijon.

Quelle folie un pareil trafic sur la route, mélangé à des convois militaires. Chance encore nous n'avons pas été trop bombardé. Seule une bombe, lâchée sur un train nous a fait rentrer sous un pont un peu avant Méhoncourt. A Méhoncourt, nous faisons halte, nos chevaux sont fatigués. Nous cherchons à nous caser chez l'habitant. Nous trouvons assez facilement dans une épicerie désaffectée ; nos chevaux dans un parc, nos voitures sous un hangar.

Après une nuit passée dans ce village les chars allemands dévalent une côte. Je suis allée en haut du village ; de cet emplacement on les voyait très bien. Ceux qui, avant nous, s'étaient sauvés, retournaient ; entre autres, Monsieur Castet en vélo, Madame Masson Paul qui conduisait elle même sa camionnette avec comme passagers sa mère de Courbesseaux et sa soeur et beau frère de Moncel. Il ne nous restait plus à nous que faire de même.

Nous avons encore attendu une partie du jour afin que les routes soient un peu moins encombrées. Les Allemands faisaient des prisonniers qu'ils rassemblaient en grand groupe. " Tout cela ! " : dis-je à un officier français. "Oui" : me dit-il tristement. J'ai oublié de dire qu'avant que nous partions, notre Jean avec Jean Castet étaient partis sur le conseil de leurs parents, direction de l'Ariège, chez l'abbé Castel. A la suite on a su qu'ils étaient bien arrivés et avec eux Charlot Clausse. Victor Jacquot et Paul Louis avec toute leur famille partaient aussi en auto.

Je me rappelle qu'ayant déjà fait du chemin ils ont été longtemps pour revenir.

Nous, l'équipe Méhoncourt, avons mis une journée pour revenir. Nos maisons avaient été visitées par des français et des allemands.

Nos caves étaient vides et bien des choses avaient disparues. Nous avons eu bien du mal à retrouver nos vaches lâchées à l'aventure, les fils de fer des parcs étaient coupés ; les chars allemands y étaient passés. 6 personnes étaient restés au village : le couple Grouyer, le père Alexandre Barbelin et sa femme et Monsieur et Madame Klein. Le père Piant ne riait plus, lui, le soldat de 1914 : " les jeunes ont la frousse ; nous les vieux si nous nous avions été là, jamais ils ne seraient passés ". Nous n'avions plus de Jean Barbelin mais nous avions récupéré Pierre Mérel, prisonnier, il s'était évadé ; Charles Contal a fait de même. Ils n'ont pas été inquiétés par les allemands qui avaient assez de prisonniers. Je pense à ceux qui avaient fait la fenaison avec nous, ils ont du être contents de retrouver leurs amis ; parce que, sûrement, ils ont été libérés à moins qu'ils aient été emmenés bien loin dans le midi ou de l'autre côté de la Méditerranée.

Je termine sur notre odyssée spectaculaire, notre voyage à Méhoncourt, nous aurions dû rester chez nous, nous n'aurions pas été pillés comme nous l'avons été.

Notre voiture - Peugeot 201 - n'était plus au garage. Notre petit poste de radio était disparu et bien d'autres choses. Ce petit poste, je l'ai tout de suite remplacé par un autre qui marchait très bien et avec lequel, pendant toute la guerre, nous recevions les messages français venant de Londres (Ici Londres, les français parlent aux français !) .

Et puis maintenant on se remet au travail avec les moyens du bord.

Nous faisons la fenaison ; Pierre Mérel nous rend bien service ; il restera ici chez sa mère, sa femme vient le rejoindre mais ce n'est que provisoire. Quand les événements se seront un peu tassés, il ira reprendre son emploi de receveur de tramway à Florange dans le pays haut.

 

J'arrête , Nous sommes le 10 décembre 1991, je vais rassembler les idées et je reprendrai une autre fois.

Je n'oublie pas que j'ai 91 ans et que d'un moment à l'autre, je peux flancher.

Personne n'est éternelle et je voudrais bien terminer tant que mes facultés me le permettent.

(La suite...)

 

 

 

 

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